IPASDEII

Performance sur la possibilité d’une rencontre entre une danseuse et un vidéaste
Recherche en plans-séquences 
2020

L’expression « pas de deux » est ambigüe. Si le mot « pas » caractérise un mouvement du corps, il est également une marque de négation. Un pas de deux est à la fois une danse effectuée par deux personnes capables de se mettre au diapason et l’incapacité d'y parvenir. Se pose alors la question de la possibilité d’une rencontre entre deux êtres par la danse. Notre proposition vise à mettre au travail cette idée dans un film, à créer les conditions propices au surgissement d’une rencontre équilibrée entre une danseuse et un vidéaste.

In dance, the pas de deux is designed for two dancers, with the idea that they move as one. They are totally connected to the final product, whatever the meaningful movement is to be and however it is to be articulated. [Janesick 2001 : 532]

INTUITION

La vidéo-danse est souvent présentée comme procédant d’un pas de deux, une forme de réalisation où le cinéaste et le danseur tendent à être à l’unisson. Mais le pas de deux est-il vraiment une rencontre à armes égales entre deux partenaires ? Et la relation entre filmant et dansant ne repose-t-elle pas également – voire davantage – sur un rapport asymétrique de domination, comme le propose notamment Christopher Lewis-Smith [2016 : 33] ? Dans le domaine de la danse classique, le pas de deux a longtemps été, et demeure souvent, un exercice de mise en valeur d’un des deux partenaires au détriment de l’autre, agissant comme un faire-valoir. La vidéo-danse peut également être le théâtre d’un comparable déséquilibre. De façon schématique : tantôt, la caméra est au service de la danse, le corps filmé prend alors le dessus1 ; tantôt le geste cinématographique est central et rend la danse quasiment accessoire, la proposition cinématographique – lorsque la «poésie du mouvement» devient danse [Boulègue 2012] – est alors dominante2. Plus rarement, le film repose sur un engagement conjoint du danseur et du cinéaste dans la chorégraphie, laquelle témoigne alors d’un essai de dialogue entre geste filmant et corps filmé3. Selon nous, c’est dans ce type de réalisation qu’un véritable pas de deux est non seulement possible mais aussi véritablement visible (puisqu’il en est la raison d’être). Selon cette dernière approche, le film est la trace d’un espace de dialogue procédant d’une implication égale de l’acte filmique et de l’acte dansé, la présence des deux partenaires reposant sur un investissement commun. Il n’est plus alors question de créer une chorégraphie pour l’écran, mais de laisser se déployer une chorégraphie procédant de l’engagement somatique partagé entre filmant et dansant. Dans ce projet, et suivant cette perspective, nous proposons de pousser cette relation à son paroxysme et de faire de la possibilité du pas de deux le sujet même de la performance filmée et l’objet de l’engagement d’un cinéaste et d’un danseur dans un même espace-temps. Il s’agit bien alors de penser en termes de « performance », car le film ne sera pas tant un objectif qu’un résultat, « une trace de ce qui a été le processus de création » [Péquignot 2013 : 16].





1 Par exemple, dans le film Fase [2002], Thierry De Mey et Anne Teresa De Keersmaeker ont adapté la partition chorégraphique de cette dernière à un dispositif cinématographique qui la met en valeur.

2 De nombreuses œuvres que l’on qualifierait aujourd’hui d’expérimentales, comme Ballet mécanique de Dudley Murphy et Fernand Léger [1924], relèvent de cette catégorie où le film est lui-même danse.

3 Par exemple, dans le film Violin Fase réalisé par Éric Pauwels [1983], également avec Anne Teresa De Keersmaeker, le caméraman devient partie intégrante du geste chorégraphique sur le plateau : la mise au diapason des deux partenaires est l’objet du film.

CRÉATION 

Cette proposition s’inscrit dans la continuité du projet Les Maîtres fous au cours duquel nous avons co-construit, dans le sillage des expérimentations et des réflexions de Jean Rouch, un espace d’expérimentation réunissant des préoccupations congruentes à l’art vivant et à l’anthropologie. Avec cette collaboration, la question de la présence de l’observateur-cinéaste sur le plateau, de sa relation avec les danseurs et de sa participation au déroulement de la performance a notamment été centrale. C’est cette recherche, reposant sur l’exploration de l’expérience sensible en situation, que nous proposons de prolonger. Nous créerons un dispositif propice à l’expérimentation pour faire surgir des mouvements et une relation procédant de l’engagement commun d’une danseuse et d’un vidéaste. Afin que le corps ne soit pas le support d’expression d’une élaboration intellectuelle préalable et permettre qu’un savoir tacite d’origine somatique s’exprime à plein, nous nous soumettrons à des contraintes incontournables :

— chaque séance de travail sera tournée en un seul plan-séquence (15 min. maximum) ;

— la caméra sera portée à la main ;

— l’objectif sera toujours réglé en courte focale ;

— aucun autre élément qu’un micro ne pourra être ajouté à la caméra ;

— les tournages se dérouleront intégralement dans la Briqueterie ;

— la performance explorera divers espaces du lieu (ceux qui nous seront ouverts et non pas uniquement ceux dévolus à la danse) ;

— les lieux ne seront jamais reconfigurés (pas de décors, de lumières ou de musiques autres que ceux présents au moment du tournage) ;

— il n’y aura pas de différence entre les répétitions et les tournages (dès que la caméra se mettra à enregistrer, le caméraman et la danseuse s’engageront totalement) ;

— le film ira là où la performance le conduira et non l’inverse ;

— cette proposition sera répétée plusieurs fois par jour ;

— la première séance adoptera, peut-être, la structure fixée par Marius Petipa (adage, variations et coda).

Ces contraintes visent à créer les conditions adaptées au surgissement d’une composition spontanée, afin non seulement que le caméraman fasse partie intégrante de la création – passant du statut de témoin à celui de participant –, mais aussi pour favoriser une relation horizontale entre filmant et filmé. Avec ce genre de contraintes libératrices –qui ne sont pas sans rappeler celles du «Vœu de chasteté» du Dogme95 –, nous voulons interdire que la collaboration ne se réduise à l’association de deux partitions écrites pour autant de solos, ponctuée de quelques points de contact. Un film témoignant de la relation vécue entre les deux partenaires sera sélectionné parmi l’ensemble de plans-séquences, même si la série composée de l’ensemble ou d’une partie de ces plans-séquences pourra mener une vie indépendante.




Une proposition de Jeremy Demesmaeker, Laurence Maillot, Baptiste Buob

Production : Mali Kadi 





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